Pinkwashing : affichage par une entreprise de son soutien à la communauté LGBTQIA+, pour des raisons purement commerciales. Le terme “Pinkwashing” dénote souvent l’hypocrisie de l’entreprise, qui cherche à capitaliser sur la lutte des personnes LGBTQIA+ sans pour autant mettre en place des politiques véritablement inclusives, ou aller jusqu’au bout de sa démarche. Phénomène très anglo-saxon, le Pinkwashing ne semble pas s’enraciner en France… Mais ce n’est pas forcément une mauvaise chose ! Est-ce que l’absence de Pinkwashing à la française dénote une ignorance, voire un mépris de ces questions dans l’Hexagone ? A l’occasion du mois des fiertés 2024, Kolabee vous en dit un peu plus sur la conception de la Gay Pride dans l’entreprise française…
Le Pinkwashing, un concept intimement lié à la Gay Pride
Dans la nuit du 27 au 28 juin 1969, le Stonewall Inn, un bar gay de New York, est perquisitionné par la police. La tension monte, jusqu’à déclencher les émeutes de Stonewall. Afin de commémorer cet événement historique, la Gay Pride est mise en place tous les ans à partir de juin 1970. Avec les années, la Gay Pride devient un événement international de plus en plus festif. En France, on célèbre la Gay Pride, ou “marche des fiertés” à Paris, Lille, Nantes, ou encore, Montpellier.
Le concept de Pinkwashing, quant-à-lui, apparaît au début des années 2010, et ne cesse de progresser durant toute la décennie. On peut citer deux exemples célèbres de Pinkwashing : Marks & Spencer et BMW.
A l’occasion de la Gay Pride 2019, Marks & Spencer commercialise un sandwich LGBT “Lettuce, Guacamole, Bacon and Tomato”. L’initiative déclenche un tollé sur les réseaux sociaux. Pire encore : le sandwich, qui était censé financer des associations défenseuses des droits LGBTQIA+, n’arrive à récolter que 11 000 € pour deux structures…
Au-delà du mercantilisme, certaines entreprises sont critiquées car elles ne vont pas jusqu’au bout de la démarche. C’est le cas de BMW qui, à chaque mois de juin, peint son logo aux couleurs du drapeau LGBTQIA+… sauf dans certains pays. Notamment en Arabie Saoudite, connue pour ses politiques réfractaires quant aux droits de ces minorités.
…et en France ?
Si une forme de Pinkwashing à la française a pu se manifester de manière retentissante dans le monde politique, les entreprises semblent globalement épargnées par le phénomène. Le cas de l’Allemand BMW trouve, certes, un écho chez le Français Renault. Comme BMW, Renault affiche les couleurs LGBTQIA+ pendant la Gay Pride dans tous les pays du monde, sauf au Maroc, en Turquie, en Russie, en Indonésie, ou en Egypte… Cependant, force est de constater qu’il s’agit d’un cas isolé. Globalement, les entreprises françaises ne semblent pas voir cette période comme une opportunité commerciale ou une occasion de communiquer. Pourquoi cela ?
Pour Flora Bolter, co-directrice de l’Observatoire LGBT+, il s’agit d’un symptôme de “l’universalisme à la française”. Comme les personnes racisées ou pratiquantes, les personnes LGBTQIA+ sont ramenées à leur statut de citoyen·nes comme les autres. Paradoxalement, cette volonté d’égalitarisme absolu se traduit par une invisibilisation et… l’apparition d’inégalités silencieuses. Par ailleurs, l’orientation sexuelle est déjà quelque chose d’invisible au départ, ce qui rend le débat sur ces questions encore plus difficile.
Les entreprises françaises accusent un retard dans le traitement de la question LGBTQIA+
Mais l’absence de Pinkwashing veut-il forcément dire que les entreprises françaises sont intolérantes ? Sommes-nous simplement plus discrets quant à notre soutien, mais globalement inclusifs ? Malheureusement, non, pas vraiment… Au-delà de la communication, le constat est plutôt sombre :
- Selon une étude de 2021, menée par BCG auprès de plus de 5 000 collaborateurs·trices LGBTQIA+, 38% affirment que faire son coming out en entreprise représente un désavantage. Sur les 18 pays consultés pour l’étude, la France est… 18ème du classement ! En comparaison, le chiffre est de 32% en Allemagne et 31% en Suisse ;
- En 2016, le chercheur Thierry Laurent estimait qu’une personne faisant son coming out perdait en moyenne 1200 € par an par rapport à une personne qui ne le faisait pas ;
- En 2010, le salaire des hommes homosexuels était encore environ 5,5% inférieur à celui des hommes hétérosexuels ;
- Enfin, lors d’un sondage IFOP de 2020, 25% des personnes LGBTQIA+ consultées disaient avoir été victimes d’au moins une agression LGBTphobe dans le cadre de leur travail.
De manière plutôt surprenante, on distingue une disparité entre le secteur public et le secteur privé concernant la question de la LGBTphobie. Le baromètre “LGBT et monde du travail 2017” de l’association L’Autre Cercle montre que les personnes LGBTQIA+ travaillant dans le secteur public font face à davantage de moqueries (62%) que celles travaillant dans le privé (56%). Dans les deux cas, on peut s’attrister de ces chiffres encore élevés.
La RSE : une réponse possible à ce retard ?
La RSE -Responsabilité Sociétale des Entreprises- est la prise en compte par les entreprises de leur impact sur l’environnement et sur la société. Elle couvre un large éventail de sujets, notamment la manière dont sont traitées les minorités. La RSE pousse l’entreprise à montrer l’exemple, aussi bien dans sa communication que dans son organisation interne. Le processus implique une remise en question profonde et collective par les collaborateurs de leur manière d’agir et de penser, et peut également affecter la raison d’être même de l’entreprise.
Les comportements discriminants envers les personnes LGBTQIA+ dans le cadre professionnel sont sources de souffrance au travail. A long terme, cela peut nuire à la productivité de l’entreprise, mais également à son image. Rappelons que le traitement des minorités est pris en compte par certaines agences de notation extra-financière, ce qui affecte en retour les performances de l’entreprise. Par ailleurs, une étude de 2008 menée par Falcoz auprès de personnes gays montraient que 43% des personnes intérrogées avaient choisi leur entreprise pour sa politique gay-friendly.
Les avantages d’une politique RSE plus inclusive envers les populations LGBTQIA+
Mettre en place une politique plus inclusive envers les personnes LGBTQIA+ fait partie des enjeux d’une politique RH performante. Cela permet notamment de créer un vivier de candidats plus large et donc, plus riche, mais également d’objectiver les politiques de recrutement. Cette politique inclusive permet non seulement à l’entreprise d’attirer des potentiels intéressants, mais également de les motiver et de les fidéliser sur le long terme. En matière de QVT, un climat inclusif stimule positivement et pour tous :
- les relations de travail ;
- la santé au travail ;
- l’égalité professionnelle.
Il existe de nombreux guides pratiques qui visent à accompagner les entreprises dans la mise en place de politiques LGBTQIA+ plus inclusives. Le groupe de pression Stonewall fournit quelques éléments de réponse, notamment :
- la mise en place de mesures afin d’éviter harcèlements et comportements LGBTphobes : communication interne et formation de l’ensemble des employés, notamment les managers ;
- création d’un environnement inclusif : audit des politiques de diversités existantes ou nouvelles, et promotion de l’égalité ;
- gestion du personnel : enquêtes confidentielles ;
- création d’un groupe de collaborateurs ou réseau LGBT consacré au sujet ;
- soutien aux clients et partenaires qui affichent leurs engagement pour cette cause ;
- engagement visible de la direction.
La Charte d’Engagement LGBT+ : une réponse française au retard des entreprises ?
La Charte d’Engagement LGBT+ est créée en 2013 par Accenture et l’association française L’Autre Cercle, en collaboration avec plusieurs grandes entreprises et des instances gouvernementales. Elle vise à promouvoir l’inclusion des personnes LGBT+ dans le monde du travail. Il s’agit d’un acte :
- de reconnaissance par les entreprises des personnes LGBTQIA+ ;
- d’engagement à sensibiliser leurs parties prenantes sur les enjeux liés à l’inclusion de ces personnes.
Une fois signée, la Charte est valable pendant 3 ans. Début 2024, plus de 250 organisations publiques ou privées l’avaient signé, un chiffre encore timide. La Charte de L’Autre Cercle a notamment été saluée par des organisations comme Human Rights Watch et Amnesty International.
Absence de Pinkwashing en France : le symptôme d’un problème plus profond
L’absence de Pinkwashing en France est un sujet à double tranchant : évidemment les entreprises ne tombent pas sous le coup des critiques… puisqu’elles ne font rien (ou très peu) ! Ainsi, impossible de les taxer d’hypocrisie ou de dire qu’elles sont dans la demi-mesure. Cette situation confortable de mutisme pousse les entreprises françaises à prendre du retard quant au traitement de ces questions par rapport aux entreprises internationales. Et, force est de constater que les structures les plus en avance (Air France, Renault), sont également les plus mondialisées. Comme si le sujet des personnes LGBTQIA+ était une problématique qui restait en dehors de nos frontières.
Par ailleurs, il est possible que le Pinkwashing soit victime d’un procès injuste. La démarche n’est-elle pas, au départ, de créer une culture d’entreprise plus inclusive ? De soutenir publiquement des populations globalement marginalisées ? La communication sur ces sujets, même si elle s’avère parfois hypocrite, peut véritablement constituer le point de départ d’une discussion essentielle. C’est bien la base d’une politique RSE de remettre en question la culture d’une entreprise et de la faire progresser. Par exemple, il est probable que BMW ou Marks & Spencer apprennent de leurs erreurs et redoublent de vigilance à l’avenir.
En fin de compte, ne vaut-il pas mieux mettre en place une politique imparfaite, plutôt que rien du tout ?